Encore beaucoup d’incertitudes pour les chœurs et les chorales

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Christophe Huss - 23 juillet 2020 - Musique

 

Les scientifiques s’étant assez rapidement penchés sur les mesures de distanciation dans la pratique orchestrale (1) les risques épidémiologiques liés à la pratique du chant apparaissaient intuitivement grands, mais restaient scientifiquement flous. 

Des études publiées par le centre hospitalier universitaire de Berlin ont apporté quelques repères et viennent d’entraîner leurs premiers effets positifs. La nouvelle est tombée mardi 21 juillet au soir : le Sénat de Berlin, qui a juridiction sur le Land dont fait partie la ville, publiait un décret autorisant à nouveau à chanter en groupe.

Le bannissement du chant choral jusqu’à fin octobre 2020, décidé le 23 juin dernier par la même instance dans le cadre de la politique réglementaire liée à la COVID-19, est donc levé au grand soulagement des autorités cléricales évangéliques et catholiques, mais aussi et surtout des institutions lyriques (les trois grands opéras de Berlin) et de l’association des choeurs professionnels, comprenant des ensembles majeurs comme le RIAS Kammerchor.
L’interdiction visait en fait bien plus que le chant choral. En pratique était interdit le chant à plusieurs dans des endroits clos, c’est-à-dire les répétitions chorales mais aussi les répétitions des maisons d’opéras (du duo à l’ensemble de solistes) et les cours de chant privés. Curieusement, la règle n’était pas la même dans le Land mitoyen, Berlin-Brandebourg, chaque province allemande ayant sa propre juridiction. Berlin Brandebourg requiert simplement une distanciation de 1,5 m entre les chanteurs.

La science en secours

La science a fait plier les sénateurs. Les groupes de pression ont
demandé une révision de la décision sur la foi d’études dont celle intitulée « Augmentation de la production d’aérosols dans le cadre du chant professionnel » (2), publiée par les équipes de Dirk Mürbe, Directeur du département d’audiologie et de phoniatrie du C.H.U. Charité de Berlin et Martin Kriegel, Directeur de l’Institut Hermann-Rietschel de l’Université des Sciences technologiques.

Dans une récente traduction « grand public » de son étude au quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung (3), le Docteur Mürbe ne voyait pas son étude comme une « mauvaise nouvelle pour les choeurs, mais comme une base pour sortir d’une situation d’interdictions arbitraires ».

Pourtant, tout avait l’apparence de mauvaises nouvelles dans une étude démontrant que l’on émet et projette 4 à 100 fois plus de particules en chantant qu’en parlant.

Pour aboutir à ces chiffres, les chercheurs ont mesuré à l’aide d’un appareillage au laser le nombre de particules émises par huit chanteurs professionnels (quatre femmes, quatre hommes) et ont comparé les données avec celles recueillies lorsque ces individus respirent ou parlent. Les artistes chantaient à différentes fréquences et différentes nuances dans une large tubulure. Le compteur de particules placé à 60 cm de la bouche était en mesure de discriminer six catégories d’aérosols de 0,3 à 0,5 micron jusqu’à 10 microns et plus.
Pour la première fois, un test, qui a montré que les femmes sont plus émettrices que les hommes, abordait la question de la taille des particules. Cette notion est très importante en termes de recommandations de santé publique. L’inquiétude croissante de nombreux scientifiques sur la possible rémanence de charges virales sous forme d’aérosols (particules de moins de 5 microns) dans des lieux peu ventilés a en effet amené l’OMS, le 13 juillet dernier, à admettre le risque d’une transmission aérienne du virus (4).

À l’opposé des aérosols de faible diamètre, capables de rester en suspension dans l’air, le Dr Mürbe rappelle dans son rapport que « les gouttelettes, d’une taille d’environ 100 microns, tombent assez rapidement à terre, dans un rayon maximal de 1,5 m ».

Les chercheurs avouent que les tests demandent encore à être affinés notamment dans la discrimination par le capteur de la taille des particules lors des mesures. Ils ciblent des particules de 0,8 à 5,5 micros émises jusqu’à 300 par seconde. En lisant en détail la discussion de l’étude, on note pourtant que « la probabilité pour qu’une particule d’un micron contienne un virus est de 0,01 % (Stadnytskyi et al., 2020) ».

Alors que mesure-t-on, pourquoi et pour quel risque ?

Dans une publication à visée plus pragmatique, le Dr Mürbe a travaillé avec Anne Hartmann de l’Institut Hermann-Rietschel sur l’« Estimation du risque pour les chœurs dans des locaux chargés d’aérosols viraux ».

Le résumé de cette étude est que l’augmentation d’émission moyenne
lors du chant considérée est de 30 fois par rapport à la parole, mais avec une grande variabilité entre les personnes émettrices. La recommandation principale est de réduire la durée des sessions de répétitions par exemple en deux segments de 30 minutes avec une aération du lieu entre ces deux périodes.

Le Dr Mürbe invite particulièrement les organismes à soupeser les paramètres « durée, nombre de chanteurs, espace et aération ». Il a ainsi travaillé à des modélisations du facteur de risque de la présence d’un chanteur infecté à distance de 2 mètres de ses collègues dans un chœur de 40 personnes au Konzerthaus de Berlin (18 000 m3, salle à la forme « boîte à chaussure ») ou de 50 personnes à la Philharmonie de Dresde (21 500 m3, salle à la forme « vignoble en terrasses ») chaque chanteur émettant 2000 particules par seconde devant respectivement 350 et 498 spectateurs. Avec des paramètres de ventilation quantifiés, Il considère les concerts possibles avec un risque calculé et maîtrisé.

En attente de directives
Les recommandations sont donc grands espaces, nombre de chanteurs réduit, ventilation par climatisation (qui augmente la diffusion et diminue donc la concentration d’aérosols à potentielle charge virale) plutôt que par fenestration et pauses après 30 minutes de chant lors des répétitions. Le D Mürbe suggère une distanciation de 2 m en avant et sur les côtés, alors qu’une étude réalisée à Munich (5) par le professeur Echternach, chef du département de phoniatrie du Centre médico-universitaire de Munich, en collaboration avec le fameux Chœur de la Radio bavaroise, aboutit à des résultats similaires, mais se prononce plus précisément sur la distanciation en suggérant un espacement différencié : 1,5 m en latéralité et 2,5 m en profondeur.

De nombreux pays attendent encore des directives. Ce mercredi,(22 juillet) Alain Lanceron, président de Warner Classics, nous faisait part du report à 2022 de l’enregistrement de Roméo et Juliette du cycle Berlioz qui devait s’enregistrer en août à Strasbourg. Le chœur devait venir du Portugal. « Le gouvernement nous avait promis un protocole pour le 10 juillet, mais nous attendons toujours. Donc nous ne savons rien et ne prendrons aucun risque ». 

Au Québec la Santé publique a autorisé la 9e Symphonie de Beethoven avec 24 chanteurs à la salle Bourgie. Partout, le monde de l’art lyrique reste très fragilisé.

On avance petit à petit. Au moins, on n’avance plus tout à fait dans le noir.

Photo: Anteo Marinoni Associated Press 
La chorale de l’Opéra de Venise chantait en plein air en juin en hommage aux travailleurs de la santé. Le doute plane encore sur le moment où les chœurs et les chorales pourront de nouveau donner des spectacles à l’intérieur... et sous quelles conditions.

 

  1. https://www.ledevoir.com/culture/musique/578762/la-science-dictera-le-repertoire-des-orchestres

  2. https://audiologie-phoniatrie.charite.de/fileadmin/user_upload/microsites/m_cc16/audiologie/Allgemein/Aerosolbildung_beim_Singen_M%C3%BCrbe_et_al._02072020.pdf

  3. https://zeitung.faz.net/faz/feuilleton/2020-07-10/d0e55de16ba3921b6554d988cd994a04/

  4. https://www.un.org/fr/coronavirus/articles/risk-confirmed-of-aerial-virus-transmission

  5. https://www.lmu-klinikum.de/aktuelles/pressemitteilungen/erste-ergebnisse-zu-aerosol-studie-mit-dem-chor-des-br/caf8e9f9c407a2bd

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